« Sport et Musique II » : Le rossignol brun

« Sport et Musique II » : Le rossignol brun

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Parallèlement aux « racines vertueuses » communes au sport et à la musique en Tunisie et ailleurs mentionnées dans le billet précédent, il existe des liens quasi intrinsèques entre certains sports et le quatrième art. Pas tous, parce que même Mötorhead n’aurait eu aucune chance de se faire entendre à un grand prix de formule 1. Mais certains, comme le patinage artistique ou la gymnastique rythmique et sportive, dont la musique d’accompagnement fait partie intégrante du programme et les sports collectifs, au sein desquels le public -et son soutien sonore- sont considérés comme un élément à part entière du spectacle -certains clubs ou équipes s’en glorifient d’ailleurs, et ont parfois institutionnalisé la chose.

 

On ne pourrait ainsi imaginer l’Angleterre jouer en rugby à Twickenham sans que le public n’entonne « Swing low sweet chariot ». Le public des Lakers a fait sienne la ligne de percussion de « We will Rock you », de Queen. En football (on y revient toujours, mais parce que c’est le plus populaire des sports collectifs, pas par défiance envers les autres), le FC. Barcelone, l’AS. Rome, ou le Real Madrid pour ne citer qu’eux, ont leurs hymnes dédiés, diffusés au stade ou chantés lors des victoires. Même le Club Africain a le sien, composé à l’occasion de son mi-centenaire, quoique tombé dans l’oubli. À noter que je parle ici des chants à la gloire des clubs précités, résolument intemporels (quoique parfois surannés…), pas des phénomènes d’appropriation d’une chanson (tel ‘Forever blowing bubbles’ pour West Ham) ou de sa modification (comme « Sailing », de l’ex-footballeur Rod Stewart, que les fans de Millwall ont pris comme base mélodique à leur chant de référence -lequel consiste à dire qu’ils sont ravis qu’on les haïsse…).

Ce lien presque organique entre la musique et les sports collectifs est assez unique. D’abord, parce qu’au contraire de pas mal d’autres sports comme le tennis ou l’athlétisme, on peut y faire du bruit. C’est même considéré comme une qualité chez les supporters : la pire chose que l’ultrà qui vous écrit ait pu entendre dire au sujet du public d’un club, c’est qu’il était composé de spectateurs et non de supporters. Ce qui suppose qu’ils sont au stade comme on va au cinéma, pour regarder, et non pour être un acteur à part entière du spectacle comme visent à l’être les supporters. Et l’inventivité de ces derniers en matière de paroles de chants est une qualité recherchée, et reconnue.

Ensuite, parce que le public de la musique et du sport est souvent le même (ainsi que les arènes des concerts sont parfois des stades). Les clubs tunisiens n’ont-ils pas un historique très varié de concerts destinés à améliorer leur ordinaire et/ou à fêter leurs titres ? Je mentionnais le Club Africain et son hymne désuet, composé lors de son cinquantenaire. Ce même anniversaire fut l’occasion pour le Club d’organiser un gala avec Abdel Halim Hafedh qui fit date et n’a pas été dépassé depuis (… en même temps, en faisant venir Elyssa, le CA ne risquait pas de faire mieux qu’avec le rossignol brun).

Ce public adoube même parfois la popularité d’une chanson en la reprenant, comme la ligne de basse de « Seven Nations Army » des White Stripes, ou en en modifiant les paroles (voir Millwall plus haut). J’ai ainsi en mémoire des versions pour le moins improbables et issues d’un répertoire aussi varié que Moncef Abla ou Michel Polnareff, Bella Ciao ou Zakaria Ahmed, les Spice Babies ou la Typica RA7, qui furent un exutoire chanté pour quelques dizaines de milliers de spectateurs. Il y eut ainsi une explosion de joie spontanée qui dégénéra en version a cappella de « She loves you » par le public de Liverpool-Internazionale en 1965 qui laisse pantois par sa qualité symphonique. Bon, je ne crois pas que les braillards qui beuglent la mélodie du deuxième mouvement de « la Marche Triomphale » d’Aïda aient forcément de l’appétence pour Verdi, mais dans le même temps, ce bon Giuseppe ne les a pas attendus non plus pour être populaire.

Je doute que notre belle radio diffuse Moncef Abla, Polnareff ou Verdi, encore que (je parierai plus pour Bella Ciao ou les White Stripes, mais là n’est pas le sujet). En revanche, Queen y est beaucoup plus dans le ton, et c’est justement au groupe londonien que l’on doit l’une des chansons devenues symbole des célébrations sportives avec « We are the champions ». Elle n’est pas la seule, et pour des légions de (télé) spectateurs, le Te Deum de Charpentier, l’hymne du couronnement de Haendel, ou plus localement « Fiha Goal » de Maha Sabry, « Dima Sport » ou « Black Night » de Deep Purple résonnent ou résonnèrent comme autant de jubilations sportives et télévisuelles. Car le public n’est pas le seul lien entre sport et musique -mais ceci sera l’objet d’un autre billet.